« Toute ma vie s’étire en une matinée sans fin. Chaque jour, je fais table rase. Chaque jour, un monde neuf est créé, séparé, complet, et je suis là parmi les constellations, Dieu si fou de lui même qu’il ne fait rien que chanter et façonner d’autres mondes. Pendant ce temps, le vieil univers tombe en ruine. Le vieil univers ressemble à un atelier où l’on repasse les pantalons, où l’on enlève les taches et recoud les boutons. Le vieil univers sent comme une couture humectée qui reçoit le baiser d’un fer brûlant. Toujours des retouches, des réparations, une manche qu’on rallonge, un col qu’on baisse, un bouton qu’on avance, un fond qu’on remplace. Mais jamais un complet neuf, jamais une création. Il y a le monde matinal, qui sort du néant chaque jour, et l’atelier, où les choses sont éternellement transformées et réparées. Et ainsi de ma vie, que traverse l’égout de la nuit. Toute la nuit j’entends le sifflement des fers chauds baisant les coutures mouillées ; les pelures du vieil univers tombent à terre, et leur puanteur est âcre comme du vinaigre. »
Henry Miller, Printemps noir.
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