Je commence depuis peu à m'immerger de manière plus assidue dans le dessin, maintenant que le choix de voie est fait. Et les premiers obstacles que je rencontre ne sont pas forcément ceux que j'attendais ; même si étrangement, au fond, les voir surgir ne m'a pas surprise.
Je suis rétive aux tâches "industrielles" et dépourvues de sens, dès la première seconde, avant même d'avoir le temps de m'ennuyer. Je ne m'accommode d'une tâche répétitive qu'à condition que l'action globale à laquelle elle se rattache me semble être nécessaire, résonner d'un certain sens pour moi. Ce n'est que de cette manière que chacun des cycles de la tâche, et chaque petit geste qui compose chaque cycle semblent avoir leur place et leur singularité dans le tout, et qu'alors moi-même je m'y retrouve et peux mobiliser l'énergie nécessaire à continuer.
Cela pose un problème dès qu'il est question d'entrainement, quel que soit le domaine. Le gouffre ici, c'est la façon dont on définit le "sens" de l'action à laquelle on s'attèle, et qui est le moteur du lancement. "Sens", ça veut tout dire. Ca peut faire référence à la raison "rationnelle" et logique, aussi bien qu'à la raison "intuitive" et instinctive, celle qui transcende la raison logique mais ne peut non plus se passer de sa coopération.
Mener une activité harmonieusement dans la durée suppose justement, je crois, de parvenir à synchroniser les deux fonctions de manière à générer un terrain stable et favorable à la réception de nouvelles informations. Comme "ouvrir un portail", créer une connexion avec l'univers.
En d'autres termes, l'action n'a pas lieu, la réalité n'a pas lieu si l'on n'harmonise pas la polarité masculine et la polarité féminine en soi-même avant de se lancer, et ce même dans le cas d'une activité aussi apparemment anodine que celle de faire ses croquis du jour. Précisément parce que, lorsque l'on élit une "voie" au détriment de toutes les autres possibles, celle-ci devient comme une "cause finale" de notre existence, et ce faisant devient le théâtre de notre rapport à la réalité. Il s'y joue et rejoue par projection toutes nos lacunes d'ancrages, et toutes nos avancées aussi.
Pour revenir aux choses concrètes, donc : je ne peux parvenir à m'entraîner à quoi que ce soit si je n'y perçois pas le sens, et logiquement, et intuitivement. Il faut donc un petit effort de concentration afin que les deux s'alignent jusqu'à ne faire plus qu'un et déclencher l'action.
Ce que m'apprennent à petits pas mes séances de croquis pour le moment - et qui est en fait bien plus important que la "retranscription juste de la réalité" en soi - c'est à synthétiser cet équilibre, parce que justement, aucune "retranscription juste" n'est possible si cette condition préalable n'est pas remplie. Je pensais au tout départ que le but des exercices en dessin était bêtement et simplement d'approfondir ma technique. Je m'aperçois de plus en plus que ceci n'a plus de sens, ou n'a plus qu'un sens bien superficiel dans la démarche. C'est ma façon d'agir qui se recentre, et alors seulement, comme une conséquence hasardeuse, ou plutôt "coïncidente", le dessin évolue de lui-même, ou plutôt sa capacité à canaliser et transcrire de l'énergie augmente et que l'harmonie de la forme suit naturellement.
Je ne peux décidément pas avancer si je n'ai pas la claire vision du rôle de la tâche en cours dans une totalité ordonnée, et de celle-ci dans un tout plus grand et ainsi de suite, mais c'est la nature de ce "tout" que la pratique du dessin en tant que discipline (au bon sens du terme) m'apprend à voir autrement.
Je ne vais pas faire "ce mois-ci, le corps humain ; cette semaine, le visage : lundi, les yeux ; mardi, le nez ; mercredi, la bouche ; etc, etc." et ce jusqu'à déterminer le programme pour la moindre heure de cette année qui vient. Un tel programme semblerait raisonnable pour progresser mais est plus anxiogène et paralysant qu'efficace et stimulant en ce qui me concerne.
Mon tout ne fonctionne plus ainsi de manière aussi mathématique, et même si c'est un peu déroutant, à force de tâtonnements et de bonnes expériences, je finis par faire confiance à cette nouvelle forme "d'organisation" : je me laisse tout simplement guider par mon instinct. Ca peut sembler un peu tarte à la crème romantique, et gentiment naïf, mais j'en fais l'expérience de jour en jour : ça fout les jetons au début, mais ça fonctionne. J'arrête de laisser ma peur et mon orgueil organiser tout à ma place et me présenter le cahier des charges. Je me lance au flair, et de fil en aiguille, mon attention finit par se porter sur les zones à explorer.
Décider de pratiquer le dessin ne s'est pas fait et ne se fait toujours pas du jour au lendemain. Du moins j'ai pu constater que les si je passe dans ce but un "contrat" avec moi-même un peu trop à la hâte, déterminé par trop de calculs, ma détermination va s'effriter, moins par paresse que par manque de sens.
Alors j'approche la pratique en essayant le plus possible de rester moi-même, de garder vive la perception de mon unité quand je suis à l'oeuvre.
Il ne s'agit pas de dire qu'il faut "attendre l'inspiration" pour s'entraîner. Je ne parle pas de la "Graaande Inspiration", celle qui vous secoue de convulsions et vous cloue à votre table de travail pendant des jours jusqu'à ce que l'oeuvre vienne au monde ^^ ; je parle de se laisser inspirer, au sens de laisser respirer son entrainement. Démarrer en "dessin automatique" comme on faisait au lycée quand l'ennui pointait, et puis de fil en aiguille, se focaliser naturellement sur un élément que l'on a envie d'explorer par curiosité. L'entrainement s'impose de lui-même, sans contrainte, et alors on apprend beaucoup mieux, et chaque séance est riche de surprises.
C'est peut-être assez naturel à certains, mais c'est au départ un saut assez vertigineux quand on commence avec des manies perfectionnistes encore mal gérées...
"Tout
ce que nous avons à decider, c’est quoi faire du temps qui nous est imparti."
Gandalf le Gris
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire